Aujourd’hui, en 2024, il y a donc plus de six décennies que nous partions, ivres d’un rêve héroïque vers des rivages glorieux….
Citons le Général Carré, commandant des gardes de notre promotion, s’adressant en mars 2016 aux officiers plus jeunes des promotions 25 ans et 50 ans après la notre, lors de la cérémonie traditionnelle de jumelage :
» D’où venions nous ? A quoi rêvions nous ? Dans quel contexte ?
Nous sommes arrivés en début septembre 1963 à Coëtquidan, dans ce que l’on appelait l’Ilôt T. Nous n’avons pas connu les bâtiments de cette « nouvelle » École. Nous sommes même la dernière promotion, la 150 ème de l’ESM, à ne pas y avoir mis les pieds, sauf éventuellement dans la suite de notre carrière, comme instructeurs, voire même pour l’un d’entre nous comme commandant de l’École.
Notre adolescence s’était déroulée dans le contexte de la guerre d’Indochine. Nous avions entre dix et quatorze ans quand tomba Dien Bien Phu. J’en ai personnellement un souvenir très précis. Je suis Nantais et Hervouët faisait partie de la vingtaine de Nantais qui y laissèrent la vie ! C’était aussi le dixième anniversaire de la fin des combats en Corée. Nombre d’entre nous aurait souhaité lier notre promotion au souvenir des saint-cyriens y ayant combattu, avant que le nom de « Cinquantenaire du Serment de 14 » ne s’impose ! La guerre d’Algérie était officiellement terminée depuis peu. Nos instructeurs en arrivaient et en étaient restés marqués.
En corniche, nous avions vécu intensément les soubresauts de la fin officielle de ces « évènements ».
L’ambiance de l’École s’en ressentait encore.
Qui étions-nous ?
Nous étions 250 ! Il est évidemment difficile d’établir un profil unique, en particulier en ce qui concerne les motivations.
Un tiers venait des « corniches civiles », c’est-à-dire des lycées qui avaient encore des classes préparatoires spécifiques ; un autre tiers venait du Prytanée ; environ 70 venaient des écoles d’ « enfants de troupe » (dites EMP’S) même si nombre d’entre eux étaient passés par le Prytanée pour la Corniche. Quelques-uns de ces élèves étaient sous l’uniforme depuis l’âge de 12 ans et leurs parents avaient signé un contrat…
« Ce cocktail de « pékins », de « brutions » et enfants de troupe agrémentés d’un zeste de « Jes ». produisait dans le creuset « coëtquidanais » les meilleurs effets…
Il y avait une quarantaine d’étrangers, majoritairement des Africains (nous étions au début de l’ère des indépendances africaines) mais aussi des Iraniens, Laotiens, Thaïlandais, un Saoudien, intégrés dans les sections. Plus tard, certains demandèrent, en fonction de la situation dans leur pays, à devenir Français et éventuellement à rejoindre les rangs de l’armée française. Certains ont eu de grandes responsabilités, civiles et militaires, dans leur pays. Quelques-uns ont disparu tragiquement.
Notre instruction
Nous étions en période de « guerre froide ». La crise des « fusées de Cuba » et l’érection du mur de Berlin étaient récentes ! C’est ainsi que, sans totalement renoncer aux méthodes appliquées pour une autre époque, on a commencé à nous préparer à un affrontement, essentiellement motorisé puis mécanisé, contre les armées du Pacte de Varsovie, sous menace nucléaire et sous menaces d’infiltrations nécessitant une défense opérationnelle du territoire (DOT).
En fait, instruction basique, physique, en vue de produire des chefs de section d’infanterie dites « commando », aptes à instruire la centaine de milliers d’hommes du contingent qui constituait l’essentiel de notre Armée.
L’enseignement général n’était ni la priorité du commandement et encore moins celle des élèves … quitte pour certains à le regretter par la suite.
Il n’était pas encore question de relever le niveau de recrutement et encore moins de préparer une éventuelle reconversion … ni de commencer à former « les colonels de l’avenir ».
Nos camarades de la promotion de l’EMIA , la« Zirnheld », que nos activités, sauf certaines activités sportives, ne nous avaient pas permis de mieux connaître, nous ont rejoint, en fonction des armes en école d’application.
Nous n’avions passé qu’un an en corniche (pour les meilleurs !). Nous n’avions que deux ans à passer à Coëtquidan. Tout cela pour dire que nous sommes arrivés sous-lieutenants dans les corps de troupe en moyenne deux ans plus jeunes que nos jeunes camarades des promotions récentes .
En février 1965, le général de Gaulle était venu à Coëtquidan, pour se rendre compte en particulier de l’avancement des travaux de la nouvelle école dont la construction faisait toujours débat dans les rangs de nombreux anciens, nostalgiques, à tort ou à raison, du site de Saint-Cyr- l’École.
Je me souviens tout particulièrement des quelques mots qu’il nous avait alors délivrés : « Votre vie sera totalement différente de celle de vos aînés ! ».
Ce qui ne pouvait manquer d’interpeller ceux qui, précisément, avaient rêvé d’avoir la vie de leurs aînés !
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Un aperçu du déroulement de nos deux années à Saint-Cyr
– Trois premiers mois : découverte des rudiments du métier militaire, mais aussi le « bahutage » exercé sur nous – avec plus ou moins de talent ou d’intelligence selon les individus – par nos anciens de deuxième année, de la promotion « Centenaire de Camerone », jusqu »au moment où ils nous ont remis solennellement shako, casoar et gants blancs . Nous pouvions enfin porter l’uniforme du Saint-Cyrien : notre « Grand U ».
– La première année : » La Pompe et le Bataillon « , dans notre jargon, c’est -à-dire alternance entre instruction tactique et technique, entrainement physique et sportif, voyage d’études, enseignement général, conférences, et enseignement spécialisé visant à l’obtention d’un diplôme civil (hélas pas toujours couronné de succès).
– Fin de première année, un temps fort essentiel : le baptême de notre promotion:
A genoux les Hommes … Debout les Officiers
et l’année s’achevait par l’obtention du brevet parachutiste et notre défilé du 14 Juillet sur les Champs-Élysées
Deuxième année : « La Pompe et le Bataillon » toujours, avec des événements particuliers : entrainement au commandement des appelés en régiment, manœuvres diverses, gala au Palais de Chaillot, voyage d’études, choix des armes, défilé à Paris, cérémonie de fin d’année – notre « Triomphe », et surtout l’attente impatiente de la délivrance : « le pékin de Bahut … ».
Forts de nos galons tous neufs de Sous-Lieutenants, il ne nous restait plus, après des permissions bien méritées, qu’à rejoindre nos écoles d’application respectives : Infanterie à St Maixent, ABC à Saumur, Artillerie à Châlons …
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Et quelques images de la vie courante à Coëtquidan…